L'ERE DU SOUPCON

Nathalie Sarraute (1956)

 

Publié en 1956, ce recueil de quatre articles parus en 1947, 1950 et 1956 constitue en fait la première manifestation théorique du Nouveau Roman.

Pourquoi ce titre ? Quel soupçon ?

Il s'agit du « soupçon » que le lecteur a commencé à avoir vis-à-vis des histoires bien « ficelées » et des personnages bien « campés », un soupçon que l'auteur a lui aussi, lui qui ne croit plus guère à ses personnages - un soupçon « qui est entrain de détruire le personnage et tout l’appareil désuet qui assurait sa puissance ». (ES, p. 78-79)

  • À l'époque de nombreux romans proposent un « je » anonyme qui n’est le plus souvent qu’un reflet de l’auteur lui-même [cf. Proust, Sartre, Céline, Gide, Camus...] (ES p. 61)
 
  • avec les œuvres qui privilégient la découverte de l’inconscient (Proust, Joyce..), le lecteur s’est mis à douter que l’objet fabriqué proposé par les romanciers puisse receler les richesses de l’objet réel. (ES, p. 67-68)
 
  • « le ton impersonnel, si heureusement adapté aux besoins du vieux roman, ne convient pas pour rendre compte des états complexes et ténus qu'il [l'auteur] cherche à découvrir » (ES, p. 71)
 
  • pour privilégier la psychologie des personnages, les auteurs cherchent à éviter que le lecteur ne reconstruise les personnages et ne se laisse « distraire » par eux.

 

« Conversation et sous-conversation »

Un peu comme Proust, Sarraute cherche à faire revivre au lecteur « ces actions souterraines » qui nous habitent. Mais si Proust les a observées minutieusement (souvenons-nous de l'épisode de la madeleine) il l'a faitcomme si ces sensations étaient déjà figées dans le passé. Sarraute, elle, cherche à traduire l’instant présent (ES p. 98-99).

Pour ce faire, elle accorde une place grandissante aux « sous-conversations », ces « dialogues » - réels et imaginés (avec soi-même et avec les autres) .

« ces drames intérieurs, faits d’attaques, de triomphes, de reculs de défaites, de caresses, de morsures, de viols, de meurtres d’abandons… ont tous ceci de commun qu’ils ne peuvent se passer de partenaire […]. C’est lui le catalyseur par excellence, l’excitant grâce auquel ces mouvements se déclenchent, l’obstacle qui leur donne de la cohésion, qui les empêche de s’amollir dans la facilité et la gratuité ou de tourner en rond dans la pauvreté monotone et la manie » (« Conversation et sous-conversation », ES, p. 99-100) [L’autre est toujours l’élément fondateur qui met en branle la dynamique du moi]

Nathalie Sarraute se moque des dialogues du roman traditionnel soigneusement pourvus d’incises – elle leur préfère un concert confus qui correspond davantage à la réalité (cf Le cinéma de la Nouvelle vague qui privilégie scènes dans des cafés, etc.) – lire ES p. 105 .

 

 

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