LES GOMMES

Alain Robbe-Grillet

(1953)

 Résumé

 Pistes de lectures

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 Bibliographie

Il s’agit d’un événement précis, concret, essentiel ; la mort d’un homme. C’est un événement à caractère policier – c’est-à-dire qu’il y a un assassin, un détective, une victime. En un sens, leurs rôles sont même respectés : l’assassin tire sur la victime, le détective résout la question, la victime meurt. Mais les relations qui les lient ne sont pas aussi simples ou plutôt ne sont aussi simples qu’une fois le dernier chapitre terminé. Car le livre est justement le récit des vingt-quatre heures qui s’écoulent entre ce coup de pistolet et cette mort, le temps que la balle a mis pour parcourir trois ou quatre mètres – vingt-quatre heures « en trop ».

Quatrième de couverture de la première édition de Les Gommes

Résumé

Wallas arrive dans une ville pour enquêter sur un meurtre qui a été commis la veille à 19 h 30 et qui semble faire partie d’une série de meurtres politiques commis tous les soirs à la même heure. Mais le meurtre n’a pas été commis : Garinati (le criminel) a manqué son coup. Le professeur Daniel Dupont « disparaît », protégé par son docteur, qui le déclare mort. Les journaux annoncent son décès : « un cambrioleur audacieux… ».

Dans le cadre de son enquête, le lendemain soir, Wallas, retourné chez le professeur, tue celui-ci pensant qu’il s’agit du meurtrier qui revient sur les lieux du meurtre : Dupont était retourné chez lui prendre des papiers… Wallas est donc devenu le meurtrier qu'il cherchait.

 

Pistes de lecture

Comme le laisse entrevoir l'épigraphe, le roman de Robbe-Grillet n'est pas sans évoquer Oedipe-Roi de Sophocle, tant au niveau structural qu'au niveau thématique.

La thématique du temps (annoncée elle aussi par l'épigraphe) est ici centrale à l'analyse du roman.

  • Importance des 24 heures (voir la règle de l'unité de temps de la tragédie, et les « 24 heures en trop » du prière d'insérer).
  • Circularité : la pièce de Sophocle refait le parcours d'Oedipe - de son arrivée, roi, mari aimé, père comblé au début de la pièce, à son point de départ, sa naissance maudite, sa survie, son parricide, son inceste. Le roman de Robbe-Grillet efface quant à lui les 24 heures qui se sont écoulées depuis que le premier coup de feu a été tiré. La situation de l'épilogue est quasiment identique à la situation initiale ( premières lignes du prologue).
  • Il faut aussi y voir une représentation du temps humain : temps humain vs temps divin chez Sophocle, temps humain vs temps des horloges chez Robbe-Grillet. Dans Les Gommes, le temps linéaire, chronologique de l’horloge est en effet remplacé par le « temps humain », celui que chacun sécrète, avec ses retours en arrière, réexamens du passé, anticipations, visions déformées. D'où l'arrêt de la montre de Wallas et de l'horloge de Dupont.
 

Une écriture plus réaliste ?

  • Robbe-Grillet reproche aux romans traditionnels comme ceux de Balzac d’offrir un faux réalisme puisque le point de vue « omniscient » ne correspond à aucun point de vue possible. D’autre part, il fait remarquer que le narrateur omniscient organise faits et descriptions de manière à offrir un tout fini et cohérent, rendant ainsi le lecteur passif : son imagination créative n’est pas sollicitée.
  • Dans Les Gommes, il n’y a pas d’instance narrative qui regroupe et ordonne (s’il y a par moment un narrateur omniscient, c’est plutôt un observateur) : on ne raconte pas « ce qui se passe », mais on nous présente les événements et les objets à travers les perceptions des différents personnages.
  • = > Tout comme les retours en arrière et les réexamens du passé, les descriptions hyper-détaillées doivent transcrire une réalité perçue par un personnage et du même coup l’état mental du personnage (voir la description du quartier de tomate et « l'accident »). C'est ce que Barthes appellera « description objectale » (et non objective).

Les Gommes est aussi une réflexion sur la création romanesque (et sur l’écriture en général)

  • de par sa structure : jeu sur les conventions du roman policier (l’un des genres à la structure la plus « règlementée », mais aussi genre ludique par excellence)
  • de par le parallèle avec Œdipe Roi –  énigme par excellence)
  • de par de nombreuses allusions à l’écriture qui jalonnent le récit (qui peuvent être lues à  deux niveaux).

Liens utiles

Bibliographie sélective

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