Auteurs Auteurs Quelques classiques Accueil Albums contemporains Premiers romans
 

 

 Le siège de Maupertuis

N.B. Les passages en gras :

Burlesque : les actions du limaçon, Tardif, sont en décalage avec sa taille.

Renart cherche à obtenir (et obtient) les faveurs de la Reine et ridiculise le roi.

Notez le comportement des "amis" de Renart....

La femme de Renart achète le roi.

 

 

Personne ne parvenant à s’emparer du château de Renart le siège dure plus de six mois. Une nuit, Renart sort de Maupertuis.

 

C'est alors que Renart sort en catimini de son château et les voit tous profondément endormis sous les arbres, qui sous un chêne, qui sous un hêtre, un tremble, un charme ou un frêne. Un par un, il les attache solidement par la patte ou par la queue. Diable de Renart! Lier ainsi chacun à son arbre! Même le roi est attaché par la queue! Il faudrait un miracle pour qu'il puisse défaire le  nœud.

 

Renart en profite pour violer la reine, Fière la lionne. Celle-ci appelle au secours.

 

« Saisissez-vous de ce fieffé bandit! »

 

Monseigneur Noble saute sur ses pieds, tire et retire - peine perdue! Il manque même d'y laisser la queue après lui avoir fait prendre un bon demi-pied !. [ •••] Mais Renart avait oublié d'attacher Tardif le limaçon, le porte-enseigne du roi, qui court délivrer les autres; il tire son épée dans l'intention de trancher les nœuds, mais dans sa hâte, il coupe patte ou queue aux uns et aux autres, faisant parmi eux bon nombre d'éclopés et d'équeutés; tel est le prix que la plupart doivent payer pour retrouver leur liberté. Tant bien que mal, tous se regroupent à grand bruit autour du roi. Renart, les voyant approcher, cherche son salut dans la fuite. Mais au moment où il va pénétrer dans sa tanière, voici que Tardif l'attrape par-derrière et le tire par une patte: action digne d'un vrai baron! Noble se précipite, suivi de tous ses chevaliers qui éperonnent leur monture. Tardif, qui tenait toujours Renart, le remet au roi, et on se saisit de lui au milieu des vociférations de l'armée tout entière. Ainsi donc, le voilà prisonnier, au grand soulagement de tous les habitants de la contrée, qui le conduisent au gibet afin de l'y pendre, car le roi a refusé de le libérer contre rançon:

 

« Seigneur, dit Ysengrin au roi, pour l'amour de Dieu, confiez-le-moi, j'en tirerai une vengeance si éclatante qu'on en parlera dans toute la France. »

 

Mais Noble refuse, ce qui lui vaut une approbation chaleureuse et unanime. Ayant fit bander les yeux du coupable :

 

«Renart, Renart, dit-il, il y a des bourreaux qui vont maintenant vous faire payer tous les crimes que vous avez commis dans votre vie [ ... ]. Trêve de discours! Nous allons vous passer la corde au cou. »

 

Ysengrin se lève, agrippe Renart par l'encolure et lui donne un coup de poing […]. Brun l'attrape par la nuque et lui enfonce les crocs dans le gras de la cuisse. Roonel qui l'a pris à la gorge lui fait faire trois tours sur lui-même. Tibert le chat qui l'a saisi par la fourrure, y va à coups de dents et de griffes qu'il a bien affilées: un frisson d'horreur en parcourt Renart. Enfin, Tardif le porte-étendard lui donne un coup sur la croupe. Les bêtes sont si nombreuses à se précipiter et à se bousculer autour de lui que pas même un tiers d'entre  elles ne parviennent à l'approcher. Maître Renart, qui avait l'habitude de se moquer du monde, se débat au milieu de tous ses assaillants. Mais il ne sait plus où donner de la tête et ne voit pas comment il pourrait s'en tirer. Il n'a plus d'amis, tous le haïssent. Et vous savez ce qu'on dit: c'est quand on est dans le malheur et prisonnier qu'on peut faire le compte de ses amis et de ses partisans. Grimbert le blaireau prie en pleurant pour Renart son parent et ami, que l'on est en train de dépecer vivant. Il le voit enchaîné et mis à mal, mais ne sait comment l'aider car la force n'est pas de son côté. Pelé le rat s'approche et se lance contre Renart mais il tombe par terre au milieu de la foule; le goupil l'attrape par la nuque et ne desserre son étreinte qu'après l'avoir étranglé. L'heure de la mort est venue pour lui, et personne, absolument personne autour de lui, ne s'en est rendu compte.

 

[On s’apprête donc à pendre Renart mais Fière/Orgueilleuse la lionne, qui a pitié de lui, demande à Grimbert le blaireau de tenter de le sauver.]

 

L'attente des ennemis de Renart va être bien déçue. On lui a déjà passé la corde au cou, et il est tout près d'avoir à se présenter devant Dieu!, quand arrive Grimbert son cousin qui le voit aux mains d'Ysengrin. Le loup veut le pendre à la potence, tandis que les autres se sont écartés en arrière. Le blaireau s'adresse à lui de façon à être entendu de tous:

 

«Renart, on peut bien dire que vous êtes sur le point de comparaître devant Dieu. Il faut vous résigner. Vous devriez vous confesser et faire un testament en faveur de vos trois beaux et aimables enfants.

 

- Vous avez raison, lui fit Renart. Il faut que chacun ait sa part. Je laisse à l'aîné mon château qui est imprenable. Mes autres donjons et places fortes, je les donne à ma femme aux courtes tresses. À mon second fils, Percehaie, je laisse les friches de Tibert Fressaie où il y a tellement de rats et de souris qu'on n'en trouverait pas autant jusqu'à Arras; et à Ravel, mon petit dernier, les friches de Thibaud Farel, ainsi que son jardin auprès de la grange qui est rempli de poules blanches. Je n'ai rien d'autre à leur léguer. Mais avec cela, ils auront bien de quoi vivre. Tel est mon testament établi ici devant tous.

 

- Votre fin est proche, reprend Grimbert ; et à moi qui suis votre cousin germain, ne laisserez-vous pas aussi quelque chose? Vous feriez là assurément une bonne action.

 

- Vous dites vrai. Eh bien, si ma femme se remarie, au nom de la Vierge, reprenez-lui tout ce que je lui ai  légué et gardez mon fief en paix. Elle m'aura vite oublié dès qu'elle me saura mort [ ... ]. Mais si tel était le plaisir de monseigneur le roi, s'il voulait bien l'accepter, je me ferais moine, ermite ou chanoine - voilà certes qui devrait le satisfaire - et je renoncerais à la vie que j'ai menée dans ce monde périssable [où chacun finit par mourir] et dont je suis maintenant détaché.

 

- Maudit traître, dit Ysengrin, qu'est-ce que vous racontez? Vous nous avez tant trompés, vous nous avez tant menti, vous auriez bonne mine avec le froc [tenue du moine] ! Que Dieu voue le roi au déshonneur s'il ne vous pend pour votre plus grande honte sans vous laisser d'échappatoire, car la corde est tout ce que vous méritez. Quiconque vous obtiendrait un sursis, je le haïrais à jamais. Arracher un bandit au gibet, c'est charité bien mal ordonnée.

 

- Seigneur Ysengrin, rétorque Renart, c'est là votre affaire. Dieu est toujours là-haut. Et tel qui s'en plaint ne pèche point. »

 

Le roi intervient alors.

 

-- Occcupez-vous donc de le pendre! J'ai assez attendu ! » Et Renart allait bel et bien être pendu, même si cela n'avait pas été du goût de tout le monde, quand, regardant en bas dans la plaine, on voit venir une troupe nombreuse de cavaliers et, parmi eux, beaucoup de dames plongées dans l'affliction. C'était la femme de Renart qui arrivait à bride abattue à travers champs. Elle se précipitait sans chercher à dissimuler l'extrême chagrin qui l'accablait. Ses trois fils étaient sur ses pas,  laissant voir, eux aussi, une très grande peine. Ils se tirent et s'arrachent les cheveux, déchirent leurs vêtements, et les cris qu'ils poussent portent à plus d'une lieue. Ils chevauchaient trop vite pour soigner leur tenue, mais ils amenaient avec eux un cheval tout chargé d'or afin de racheter leur père. Avant qu'il ait reçu l'absolution, ils fendent la foule avec une telle précipita­tion qu'ils sont déjà aux pieds du roi. La dame, quant à elle, d'un seul élan, les devance tous:

 

« Seigneur, grâce pour mon mari, pour l'amour de Dieu, notre Père et notre Créateur. Je vous donnerai tout cet or si vous voulez avoir pitié de lui. »

 

Le roi Noble regarde devant lui le trésor composé d'or et d'argent, et ce n'est pas l'envie de s'en rendre maître qui lui manque. Aussi répond-il: «Dame, franchement, Renart s'est mis dans son tort à mon égard: on ne saurait vous dire tout le mal qu'il a fait à mes vassaux. C'est pourquoi je dois faire justice de lui. Et comme il s'est obstiné dans ses crimes, il a bien mérité d'être pendu. Tous mes barons sont d'avis de l'envoyer à la potence. Et en vérité, ce serait manquer à ma parole, que de lui faire grâce du châtiment.

 

- Seigneur, au nom de Dieu en qui vous croyez, pardonnez-lui pour cette fois.

 

- Je lui pardonne ce coup-ci, pour l'amour de Dieu, et pour vous être agréable. On va vous le rendre, mais, à son prochain délit, il sera pendu.

 

- J'en suis d'accord, seigneur, et ne présenterai pas de nouvelle requête. »

 

On enlève alors à Renart le bandeau qu'il avait sur les yeux et, à l'appel du roi, il se présente, plein d'entrain et sautillant de contentement.

 

« Renart, dit Noble, prenez garde. Vous voilà libre, mais au premier mauvais coup, vous vous retrouverez au même point qu'il y a un instant.

 

- Seigneur, Dieu me garde d'en venir là à nouveau ! »

 

Puis, il laisse éclater sa joie devant toute sa famille rassemblée autour de lui. Il embrasse l'un, prend l'autre dans ses bras, ravi de tout ce qu'il voit.

 

Ysengrin aurait préféré mourir plutôt que de le voir libre! Tous ont grand-peur qu'il ne recommence à leur faire du tort; et il s'y emploiera pour peu que Dieu lui prête vie jusqu'au soir.

 

 

(Traduction de Micheline de Combarieu du Grès et de Jean Subrenat - Univers des Lettres Bordas)

 

 

Auteurs Quelques classiques Accueil Albums contemporains Premiers romans